Le prochain colloque de l’Afstal sera accueilli à Nantes, du 19 au 21 novembre 2025 et portera sur le thème : « L’animal et la machine ».
Le colloque s’est ouvert sur la conférence inaugurale de Louis Schweitzer, qui a présenté les enjeux des sciences et de la société et replacé le cadre du principe des 3R. Son discours a été extrêmement apprécié par sa hauteur de vue, il a aussi rappelé l’importance des 3R et du GIS FC3R, dont il préside le conseil d’orientation et de réflexion (COR). 22 intervenants ont ensuite abordé l’évolution de l’utilisation d’animaux en recherche et ses enjeux, au travers de cinq sessions de conférences. Les conférenciers ont présenté de nouvelles technologies et méthodes alternatives, mis en lumière l’importance des données en sciences, et expliqué leurs implications pour le Remplacement, la Réduction et le Raffinement de l’utilisation d’animaux utilisés à des fins scientifiques. Enfin, le colloque a conclu sur les enjeux sociétaux, reflétant ainsi la diversité des thématiques abordées, et sur leur impact pour la recherche de demain.
L’apport de l’IA dans la recherche biomédicale - état des lieux et perspectives (Hugues Berry)
Hugues Berry, directeur de recherche à l’Inria, a présenté l'état actuel de l’utilisation de l'intelligence artificielle (IA) dans la recherche. L’IA, système informatique qui prédit une sortie (un résultat) d’un système réel en réponse à des entrées données, est très utilisée en recherche biomédicale, notamment pour l’analyse de données telles que l’analyse d’images. Hugues Berry a mentionné le fort intérêt pour les modèles personnalisés, tels que les jumeaux numériques (équivalent virtuel capable de simuler des systèmes biologiques) car ils permettent une application à différentes échelles d’intérêts : du subcellulaire aux organes entiers. Ces modèles pourraient ainsi réduire le nombre d'animaux utilisés dans la recherche, en ayant un impact positif sur leur utilisation. Il a rappelé que l’IA reste un outil qui est sensible aux biais, couramment présents en biologie, en donnant l’exemple d’une IA censée distinguer les chiens des loups, mais qui se trompe parfois en associant la neige aux loups (car les photos de loups sont souvent localisées dans des paysages enneigés).
Principes et enjeux de Science Ouverte (Audrey Legendre)
Audrey Legendre, ajointe au chef du Service du Partage des Connaissances et des Archives de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), a présenté les principes et les enjeux de la Science Ouverte. Cette nouvelle approche scientifique vise à diffuser des connaissances via le numérique. La Science Ouverte permet de rendre accessibles les données scientifiques, les cours et les logiciels. Elle implique également la mise en place des infrastructures nécessaires et la participation de différents professionnels, tels que les techniciens, les doctorants, les chercheurs, les éditeurs, les informaticiens et les juristes.
Audrey Legendre a souligné l'importance de choisir les revues de publication avec soin, en mettant en garde contre le transfert systématique des droits d‘auteurs aux grands éditeurs. Elle a ensuite détaillé le concept de « libre accès », qui permet l’accès gratuit en ligne aux publications à tout moment et de façon permanente. Audrey Legendre a aussi recommandé l’utilisation de l’archive numérique ouverte HAL, qui permet une visibilité internationale et assure une indexation et un archivage pérenne. Enfin, elle a cité des principes clefs pour « ouvrir » ses données (tels que des chiffres, des textes, des SOPs…) avec l’application des principes FAIR (Findable, Accessible, Interoperable, Reusable), et présenté comment mettre en pratique ces principes dans l’élaboration du plan de gestion des données qui est obligatoire dans le cadre d’une institution. Le partage ouvert des publications et des données de recherche, permet aussi la Réduction, et le Raffinement des animaux utilisés à des fins scientifiques, en évitant, par exemple, la duplication d’expériences déjà réalisées.
Live Mouse Tracker & MiceCraft (Fabrice de Chaumont)
Fabrice de Chaumont, ingénieur de recherche à l’Institut Pasteur, a présenté de manière captivante le développement de ses inventions, le Live Mouse Tracker et le MiceCraft. Il a expliqué comment le Live Mouse Tracker utilise des caméras RGBD (informations sur les couleurs et la profondeur), l’apprentissage automatique (« machine learning ») et la RFID (identification par radiofréquence) pour étudier les souris en temps réel, dans un environnement riche et en groupe, en suivant leurs déplacements et en analysant leurs comportements individuels. La caméra RGBD permet de distinguer les individus par la profondeur, puis la RFID et le machine learning permettent un suivi individualisé, afin d’étudier les souris dans leur environnement et leurs interactions sociales. Son équipe a employé cette méthode pour étudier les effets des mutations de gènes associés à l'autisme sur le comportement des souris. Le système identifie précisément les souris, même si elles se chevauchent ou nichent ensemble et peut distinguer par exemple un jouet ressemblant à une souris d'une souris.
Pour aller plus loin dans les études comportementales, Fabrice de Chaumont a aussi conçu manuellement une « box » d’étude composée de plusieurs pièces et portes automatiques, sans dangers pour les souris. Son équipe étudie divers comportements, tels que la collaboration (lorsque deux souris appuient simultanément et reçoivent une récompense chacune) ou la générosité (lorsqu'une souris a le choix de recevoir ou de donner une récompense à une souris voisine). Ces outils permettent ainsi de Raffiner, en étudiant des souris dans un environnement où elles sont plus libres et moins stressées, ce qui impacte aussi la robustesse des résultats.
Modèles invertébrés – Drosophile et autres insectes (Carine Meignin)
Carine Meignin, enseignante chercheuse à l’Institut de biologie moléculaire et cellulaire (Ibmc, CNRS - Unistra), a exposé ses recherches, centrées sur les arthropodes. Son intervention a débuté par une mise en contexte, rappelant que les invertébrés représentent 95% de la biomasse animale - dont 42% d’arthropodes - et les vertébrés seulement 5%. L'intervenante a ensuite abordé le moustique, reconnu comme un redoutable vecteur de maladies mortelles pour l'homme. Elle est entrée plus en détails sur les recherches menées à l’Insectarium de Strasbourg, et notamment sur leur stratégie de contrôle des moustiques. Ces recherches incluent par exemple des techniques telles que la stérilisation des mâles relâchés dans l'environnement pour réduire la survie des œufs issus de leur reproduction, ainsi que l'utilisation de modification génétique "gene drive" pour diminuer leur capacité à transmettre des maladies. L’utilisation des arthropodes est aussi une approche de Remplacement « relatif » de vertébrés par des animaux considérés comme moins sentients. En lien avec l’actualité, cette intervention a permis d’éclairer les enjeux de la recherche sur les arthropodes, leur impact sur la santé publique, et aussi sur la remise en question des pratiques scientifiques concernant ces animaux.
Demain, quel travail avec les animaux en Recherche Animale ? (Sébastien Mouret)
Sébastien Mouret, sociologue à l’INRAE, a mis en évidence les dilemmes éthiques (qu’il qualifie de « souffrance éthique ») liés au travail avec les animaux, en mettant en avant la tension entre les aspects moraux du respect de leur bien-être et la nécessité de mener à bien les tâches assignées. Pour bien vivre ensemble, avec les animaux dont ils s’occupent et avec lesquels ils « travaillent », plusieurs notions ont été soulevées, comme par exemple, la perspective du replacement, de la retraite des animaux. Sébastien Mouret a également discuté de la fatigue compassionnelle, une forme de souffrance éthique parmi les personnes travaillant au contact des animaux, tout en soulignant le risque de s'habituer à cette souffrance, ce qui peut affecter la santé mentale au travail. Pour faire face à ces défis, le sociologue a notamment proposé d'adopter une « culture du soin » (culture of care), allant au-delà des 3R, afin de créer un cercle vertueux entre le bien-être des animaux et celui du personnel.
Posters et communications orales
Delphine Roussel a été récompensée du prix de la meilleure communication orale sur l’« Impact de la méthode de perfusion intracardiaque chez la souris pour des analyses d’histologie et d’électrophysiologie ». L’étude présentée a permis de démontrer que la perfusion intracardiaque post-mortem est une méthode fiable pour obtenir des échantillons cérébraux de qualité pour différentes analyses, et ainsi assurer un Raffinement de l’utilisation d’animaux.
Le FC3R à l’Afstal
Le FC3R a eu le privilège d’être doublement (re)présenté lors de ce colloque :
Marc Le Bert a présenté la plateforme des Shorts Notes, qui permet de partager des résultats non publiés, qu’ils soient positifs ou négatifs, sous forme d’articles courts rédigés en anglais, reviewés par des experts sur la base de la qualité du design expérimental, de la qualité rédactionnelle et de la qualité du traitement et de la présentation des données uniquement, et non sur la nouveauté ou l’intérêt scientifique. Ces Short Notes sont efficacement indexées et sont visibles et citables - sur HAL et sur le site du FC3R - grâce à l’attribution d’un Digital Object Identifier (DOI).
Athanassia Sotiropoulos a proposé sa vision de l'évolution de l’utilisation des animaux à des fins scientifiques. En reprenant chaque étape du parcours expérimental (du prospectif au rétrospectif), Athanassia a fait des suppositions de changements futur, tels que la justification scientifique du non-Remplacement ou des procédures sévères lors de l’évaluation du projet par le comité d’éthique, la mise en place d’un pré-enregistrement obligatoire ou encore l’inclusion d’autres animaux dans les demandes d’autorisation de projet sur l’animal (DAP), tels que les insectes.
En conclusion, les sujets abordés cette année reflètent les évolutions passées, en cours et à venir dans l’utilisation des animaux à des fins scientifiques. Ils ont mis en lumière non seulement les pratiques visant à raffiner et à réduire l'utilisation des animaux, mais également les perspectives d'évolution en matière de remplacement.