Chaque cellule a un sexe
Les gènes exprimés par les chromosomes sexuels ont un impact considérable sur des cellules aussi diverses que les neurones et les cellules rénales. Le sexe a son importance également pour les études in vitro ! (Holland & Bradbury, 2023)
L'impératif d'inclure mâles et femelles dans la recherche in vivo et de mieux représenter les sexes dans la biologie fondamentale et le développement de médicaments s'est renforcé ces dernières années. Natasha Karp, directrice des statistiques chez AstraZeneca, spécialiste de l'amélioration de la réplicabilité, de la reproductibilité et de la généralisation de la recherche préclinique, a partagé son expertise sur les méthodologies d'inclusion des deux sexes pour renforcer la robustesse des études in vivo lors d'un webinaire intitulé "One sex fits all ? The current thinking on sex inclusive in vivo research" organisé par le FIN3R, le 14 novembre dernier.
L'importance fondamentale du sexe en biologie
Défini comme englobant "les différentes caractéristiques biologiques et physiologiques des mâles et des femelles (chromosomes, organes reproducteurs, hormones, etc.)", le « sexe » revêt une importance capitale dans l'influence des traits biologiques. Il s'agit d'un facteur essentiel à considérer dans toute recherche, et il ne faut pas le confondre avec le « genre » qui est défini par des normes sociales.
Sur le plan clinique, l'impact du sexe est indéniable et se manifeste par des variations dans la prévalence des maladies, la symptomatologie et les réactions aux médicaments, comme observé lors de la pandémie COVID-19, où la prévalence était plus élevée chez les femmes tandis que les hommes connaissaient une morbidité et une mortalité accrues. Bien que certaines attributions puissent découler de facteurs liés au genre (relations sociales, professions exercées etc.), ces différences majeures indiquent fortement des variations biologiques inhérentes déterminées par le sexe biologique.
Les études précliniques fournissent également des preuves irréfutables. Par exemple, une étude exhaustive analysant les données de recherche de dix instituts, englobant 55 000 souris de divers fonds génétiques et évaluant environ 250 traits phénotypiques, a révélé des influences substantielles du sexe, tant chez les sujets de type sauvage que chez les sujets mutants (Karp et al., 2017). Cette découverte a de profondes implications pour la compréhension des modèles de maladies chez l'homme et l’animal.
Cependant, une tendance préoccupante persiste : 22 % des recherches in vivo et 75 % des études in vitro ne spécifient pas le sexe (Yoon et al., 2014 ; Shah et al., 2014). Même lorsqu’il est mentionné - et bien qu'il y ait eu une amélioration notable au cours de la dernière décennie, les études unisexes étant passées de 72 % en 2009 à 51 % en 2019 - une majorité d'études précliniques continue à n'utiliser qu'un seul sexe. De plus, parmi les études incluant mâles et femelles, seuls 42 % analysent les données en fonction du sexe, et dans 33 % des cas où des différences sont reconnues, les analyses statistiques sont omises (Woitowich et al., 2020).
Surmonter les idées reçues
Plusieurs idées fausses entravent la mise en place de pratiques de recherche tenant compte du sexe. Par exemple, l'hypothèse infondée selon laquelle les femelles présentent une plus grande variabilité que les mâles en raison des fluctuations hormonales, a été démentie par des études sur les rats (Becker et al., 2016) et les souris (Prendergast et al., 2014; Levy et al., 2023). Contrairement à cette croyance, l'inclusion de femelles dans les études sur les rongeurs n'augmente pas la variabilité (Beery et al., 2018). Cependant, dans un souci de généralisation et de simplification, le sexe, ainsi que d'autres sources potentielles de variation, est souvent négligé lors de la conception des expériences.
Une autre idée fausse découle d'une interprétation littérale du principe de "réduction", qui vise à minimiser l'utilisation d'animaux par expérience. Pourtant, des simulations statistiques remettent en cause cette notion, en démontrant que l'inclusion des deux sexes dans les études in vivo n'exige pas intrinsèquement une augmentation de la taille globale de l'échantillon (Phillips et al., 2023). Une interprétation contemporaine du principe des 3R (Remplacer, Réduire, Raffiner) souligne la nécessité de concevoir et d'analyser correctement les expériences sur les animaux pour garantir la robustesse, la reproductibilité et des contributions significatives à la connaissance scientifique.
Qu'est-ce qu'une recherche « sex-inclusive » ?
L'objectif d'une recherche « sex-inclusive » est d'estimer un effet généralisable qui représente les deux sexes. Les expériences doivent être suffisamment puissantes pour détecter l'effet ciblé sur les mâles et les femelles, ce qui permet d'identifier toute disparité potentielle entre eux. À cette fin, lorsque l'objet de la recherche comprend des organismes qui peuvent être différenciés par sexe, plusieurs impératifs s'imposent :
- l'inclusion par défaut des mâles et des femelles dans les études portant sur des animaux, des tissus et des cellules
- la prise en compte du sexe lors de l'interprétation des données
- la présentation de rapports complets sur les données brutes, détaillant le sexe des sujets.
La recherche non-inclusive doit être exceptionnelle et être fortement justifiée, applicable uniquement dans les scénarios où la détermination du sexe est irréalisable ou non pertinente (ex : études in chemico), dans des conditions spécifiques au sexe (ex : cancer du sein), ou en raison de contraintes sévères d’accès aux ressources.
Feuille de route vers de meilleures pratiques
Les organismes de financement jouent un rôle crucial dans la promotion de la recherche « sex-inclusive » (White et al., 2021). Par exemple, la Commission européenne impose l'intégration de l'analyse du sexe et du genre dans les plans de recherche dans le cadre du plan stratégique Horizon Europe (2021-2024), à moins que cela ne soit justifié par un manque de pertinence.
Les recommandations SAGER (Heidari et al. 2016.), établies pour les auteurs et les reviewers lors du processus de publication, soutiennent également ces efforts.
En outre, un outil novateur, le « Sex Inclusive Research Framework (SIRF) », a vu le jour. Fonctionnant comme une ressource éducative, le SIRF aide les chercheurs à affiner la conception expérimentale, à outrepasser les idées fausses et à évaluer de manière critique la faisabilité de l'inclusion du sexe. Sous la forme d’un arbre décisionnel comprenant douze questions, il classe les résultats de l'évaluation en trois niveaux : "Proposition appropriée" (vert), "Attention requise" (jaune) indiquant des risques potentiels dans le design expérimental, et "Justification insuffisante pour l'étude d'un seul sexe" (rouge).
Le SIRF sera bientôt proposé sous la forme d'une interface web interactive et dynamique, hébergée par l'université de Newcastle. Il produira également un rapport écrit pour aider les organismes de réglementation et autres comités dans l’évaluation des projets de recherche.
En résumé, la recherche souligne l'importance du sexe dans la variation biologique, mais les biais culturels impactent toujours la conception des études. Alors que les attentes en matière de robustesse et de reproductibilité se durcissent, il apparait crucial de prendre en compte le sexe de manière réfléchie et efficace pour chaque question biologique.