Enquête
A l’automne 2024, le réseau national des SBEA (RN-SBEA) a lancé une enquête sur l’isolement des animaux utilisés à des fins scientifiques, en vue de formuler des recommandations.
Marco Valdebenito travaille au CERMEP où il est en charge d’un système d’imagerie fonctionnelle par ultrasons (fUS). Il est également le responsable de la Structure Bien Être Animal (SBEA) du centre localisé à Bron. Nous l’avons interviewé afin d’en savoir plus sur le cache protecteur qu’il a développé afin de pouvoir regrouper dans une même cage des rats porteurs d’implants cérébraux et éviter ainsi leur isolement systématique.
Quelle problématique 3R avez-vous rencontrée ?
Dans le cadre de nos recherches de candidats-médicaments pour la maladie de Parkinson, nous avons recours à l'imagerie ultrasonore sur rongeurs vigiles, une approche innovante qui permet de recueillir des données détaillées sur la structure ou le fonctionnement du cerveau en temps réel. Respectueuse du principe des 3R, cette approche permet d’acquérir des connaissances sur le cerveau sans sacrifier les animaux et de faire des études longitudinales, ce qui réduit le nombre d’animaux utilisés. Pour un projet spécifique, nous avons conçu un dispositif permettant le positionnement précis et répétable d’une sonde ultra sonore sur la tête d’un rat éveillé. Malheureusement, afin d'éviter que les dispositifs ne soient endommagés par leurs congénères, les animaux implantés sont isolés. Cette pratique déroge à la norme qui impose l'élevage des rats de laboratoire en groupe. L’isolement d’animaux sociaux tels que les rats a un impact indéniable sur leur comportement, et très certainement sur leur activité cérébrale, ce qui peut influer sur les mesures d’activité cérébrale effectuées et affecter la qualité et la robustesse des résultats scientifiques. Une fois implantés, les rats étaient tout de même rassemblés par paire, sous surveillance, une heure par jour (30 minutes le matin et 30 minutes l’après-midi) pour éviter les biais liés à l’isolement. Chez ces animaux, nous avons pu observer un niveau de stress moins important et un comportement plus sociable envers les opérateurs. Cependant, cette mise en groupe quotidienne nécessitait impérativement une présence humaine pour éviter la dégradation des cache-support, et ne répondait pas pleinement aux besoins sociaux des animaux.
Qu’avez-vous mis en œuvre pour y remédier ?
Nous avons donc cherché à répondre à la problématique de l’hébergement groupé de rongeurs implantés, en développant un « cache » protecteur en plastique imprimé en 3D.
Nous avons travaillé avec Sébastien Daligault, ingénieur au CERMEP, qui nous a aidé à « designer » et imprimer les dispositifs que nous avions imaginés. Plusieurs caches ont été testés pour obtenir le meilleur compromis entre la protection du support et la capacité à être retiré facilement sur un animal vigile. Le premier cache-support était équipé de languettes fixées à la base de la pince, permettant ainsi de maintenir ensemble l’implant et son cache-support. Ces caches-supports nous ont permis de passer à un hébergement des rats deux par deux. Cependant, les languettes (mesurant 1 centimètre sur l’implant), conçues pour dissocier les deux parties, se sont révélées trop encombrantes pour les animaux. Une nouvelle version avec des languettes plus courtes (4 mm sur l’implant) a été créée pour offrir plus de confort aux animaux lors de leurs déplacements dans la cage. Cependant il restait nécessaire de réaliser une courte anesthésie avant chaque session d’imagerie, afin de retirer le cache et de fixer la sonde échographique.
Nous avons alors conçu un nouvel implant avec un cache-support ne dépassant pas de l’implant et des encoches permettant l’insertion d’un tournevis pour pouvoir les retirer, simplifiant ainsi la procédure et améliorant le bien-être des animaux. Le nouveau cache-support a été réduit en taille et en poids (1,6g), donnant aux animaux plus de confort dans leurs mouvements tout en protégeant l’implant qui permet de réaliser les acquisitions échographiques.
Quels résultats avez-vous obtenus ?
Trente-deux animaux ont été implantés avec ces dispositifs et ont pu être hébergés par deux ou quatre. L’hébergement post-opératoire en groupe de ces animaux a permis d’améliorer leur bien-être et, par conséquent, la qualité des données scientifiques acquises. Malgré une éventuelle dégradation du cache-support par les congénères, les supports de sonde restent intacts et nous permettent de réaliser les acquisitions ultrasonores des animaux vigiles sans contraintes pendant toute la durée de l’expérience (une semaine). Les résultats sont très encourageants, robustes et reproductibles : nous avons déjà pu réaliser 53 sessions d’imagerie pour un total de 43 heures d’acquisitions exploitables sans artefacts. Mettre l'accent sur le bien-être des animaux en impliquant l’ensemble de l’équipe, via ce projet multi-compétences, a également permis de créer une atmosphère de travail plus éthique et respectueuse, améliorant le moral et la satisfaction du personnel.
Nous sommes ravis de partager notre fichier d’impression 3D sur demande, ou d’échanger ou collaborer avec des collègues intéressés. Nous espérons aussi par notre approche inspirer d’autres collègues, travaillant sur le rat ou d’autres espèces ou dans d’autres domaines de recherche, à innover pour répondre à leurs propres problématiques 3R. Le recours à l’impression 3D est une méthode simple et peu onéreuse pour développer des systèmes innovants, robustes, légers et parfaitement adaptables. Il est également possible de diviser les coûts en partageant l’imprimante 3D entre plusieurs équipes, comme c’est le cas pour nous.
Avec la démocratisation de l’impression 3D, ce type d’implant associé à une protection pourrait être envisagé pour n’importe quel type de dispositif implanté chez le rat – ou d’autres espèces. Ceci éviterait les isolements quasi systématiques aujourd’hui et aurait un effet positif sur la qualité des données recueillies, contribuant à une recherche plus robuste et plus éthique.