Le beagle numérique
Le projet de " virtual dog ", pour remplacer à terme l'utilisation des chiens dans les études de toxicité, a récemment été co-financé par le NC3Rs et des industries pharmaceutiques à hauteur de 1,6 millions de livres sterling.
Un jumeau numérique est un équivalent virtuel d'un objet ou d'un système physique, alimenté par des données existantes, qui permet de réaliser des simulations et des prédictions, et d'obtenir des résultats impossibles à atteindre par d'autres moyens.
En sciences de la vie, le développement de jumeaux numériques capables de simuler des systèmes biologiques avec une grande fidélité constitue une innovation majeure, ouvrant la voie à des possibilités infinies dans les méthodologies de recherche. Les jumeaux numériques recèlent également le potentiel d'une recherche plus éthique en facilitant le remplacement et la réduction de l'expérimentation animale.
Voies numériques vers recherche éthique : renforcer les 3R
En offrant une plateforme pour la modélisation prédictive et la réalisation d'expériences in silico, ces jumeaux permettent de tester virtuellement des hypothèses, des réponses médicamenteuses et des mécanismes pathologiques, réduisant ainsi le nombre d'animaux nécessaires à l'expérimentation.
Ce processus de présélection, qui garantit que seules les voies les plus prometteuses sont suivies dans la recherche animale, contribuera à Réduire l'utilisation globale des animaux tout en améliorant la qualité et la pertinence des études menées en santé humaine.
En outre, en étant capables de modéliser avec précision des systèmes biologiques à différentes échelles, en reproduisant des processus physiologiques et pathologiques dans un environnement digital contrôlé et en permettant une compréhension approfondie de systèmes complexes, ces jumeaux numériques pourraient même - dans certains cas - Remplacer l'expérimentation animale.
Trois projets de jumeaux numériques menés par l'Inria ont été présentés à la conférence EMBO "Digital tools" qui s'est tenue à Sant Feliu de Guixol (Espagne) en novembre 2023.
Un jumeau numérique pour la polyarthrite rhumatoïde : Science ou science-fiction ?
Le Dr Anna Niarakis (Université de Toulouse III-Paul Sabatier, Inria Saclay) développe un modèle révolutionnaire de jumeau numérique spécifiquement adapté à la polyarthrite rhumatoïde (PR). Cette maladie auto-immune déclenche une inflammation articulaire multiforme, affectant des patients pour lesquels les traitements conventionnels à base d'anticorps sont inefficaces dans environ 40 % des cas.
Les travaux novateurs du Dr Niarakis se concentrent sur la construction d'une "articulation numérique" dynamique, visant à simuler la progression de la maladie, les diverses réponses aux traitements et les risques potentiels associés aux nouvelles thérapies pharmaceutiques (Laubenbacher et al., 2022). En s'appuyant sur des données omiques et des techniques de modélisation, elle a travaillé à la construction d'une représentation de l'articulation au niveau cellulaire, en capturant de manière complexe les interactions entre les cellules immunitaires et résidentes, les processus d'inflammation et l'intégrité du cartilage.
Grâce à une collaboration avec Sanofi R&D, cet effort a abouti à l'un des modèles multi-cellulaires les plus complets à ce jour (>1000 biomolécules), et à l'identification de cibles et de combinaisons thérapeutiques prometteuses (Singh et al., 2023 ; Zerrouk et al., BioRxiv).
Les travaux actuels du Dr Niarakis portent sur l'enrichissement du modèle avec davantage de types de cellules et sur la visualisation des données, qui constitue un pont essentiel entre les modèles simulés et les observations cliniques du monde réel.
Vers un jumeau numérique du foie : lésions dues aux médicaments, régénération et progression de la maladie
Le Dr Dirk Drasdo et ses collègues, de l'Inria Saclay Île-de-France, participent activement au développement d'un jumeau numérique du foie, un organe complexe qui joue un rôle crucial dans diverses fonctions corporelles, notamment le métabolisme, les voies de désintoxication et la régulation de la glycémie.
Leur objectif est de créer un modèle qui permet d'étudier les complexités entourant les lésions hépatiques aiguës et chroniques induites par le paracétamol (Zhao et al., 2023). Le modèle mathématique du foie conçu par le Dr Drasdo et ses collègues permet d'explorer en profondeur les mécanismes des lésions hépatiques, d'examiner les processus de régénération des tissus et d'évaluer de manière exhaustive les conséquences des lésions tissulaires, en permettant la simulation d'hypothèses alternatives sur l'interaction des différents types de cellules sur la régénération.
En simulant la microarchitecture des lobules hépatiques à l'aide de représentations numériques dérivées de données d'imagerie, l'approche innovante du Dr Drasdo fait un pas de plus pour faciliter la compréhension de la dynamique du foie, de l'échelle moléculaire à l'échelle tissulaire.
Les capacités prédictives de ce modèle ont déjà démontré leur compatibilité avec les données expérimentales, illustrant leur potentiel en tant qu'atouts indispensables pour les biologistes et les cliniciens.
Construire le jumeau humain virtuel : une approche écosystémique
Liesbet Geris (Institut VPH, Europe) a présenté le projet européen EDITH-CSA, une collaboration entre 23 partenaires, financée par le programme de recherche et d'innovation Horizon Europe de l'Union européenne, dans lequel l'Inria français est impliqué.
Le projet EDITH-CSA vise à établir l'écosystème européen de jumeaux humains virtuels (VHT), qui fournira l'infrastructure, les outils et l'expertise nécessaires pour développer et déployer des VHT afin de simuler les effets de traitements, d'interventions et de changements de mode de vie sur des patients individuels, permettant ainsi aux professionnels de la santé de prendre des décisions plus éclairées sur les soins à apporter aux patients.
Dans le cadre d'EDITH, l'Inria contribue à l'élaboration de la feuille de route, des normes et de la vision, sur la base de son expertise dans la modélisation des jumeaux numériques du foie et du cœur, dans la modélisation de la chirurgie spécifique au patient et dans la personnalisation des modèles basés sur l'image, en utilisant des modèles à différentes échelles tels que la modélisation basée sur les agents (cellules) et les modèles hémodynamiques.
La première conférence sur la construction du VHT aura lieu les 18 et 19 janvier 2024 à l'Institut Polytechnique de Paris.